Et vous, comment avez-vous vécu toutes ces années ?
Quand le diagnostic de la DCL a été posé, on m’a invitée à aller dans des réunions pour les aidants. C’était au centre de la mémoire de Bailleul. Et là on entend qu’il faut faire le deuil d’un vivant, que les maladies neuro-dégénératives sont incurables pour l’instant, qu’il n’y a pas de traitement et donc pas d’amélioration possible.
Au début, on ne se rend pas compte car on ne sait pas ce qui nous attend.
On a beau en parler, il faut le vivre car ça dépend aussi de la situation, de la personnalité du malade, de son vécu… Alors, toutes ces années, je me suis occupée de lui et je l’ai soigné du mieux possible. Je n’ai jamais voulu baisser les bras ni le « placer » alors qu’on me l’a souvent conseillé.
Je me suis adaptée en permanence à la situation. J’ai toujours essayé de lui maintenir une vie la plus normale possible. Je validais ses délires pour ne pas le déstabiliser. J’invitais des amis. On allait se promener. J’essayais de faire en sorte qu’il garde ses repères quand c’était encore possible. J’essayais de lui faire plaisir. Il adorait le chocolat donc je lui en achetais et les amis lui en offraient.
Et avec votre famille, vos amis, comment cela se passait-il ?
Quand j’invitais des amis, ils faisaient comme si de rien n’était. J’ai toujours tout fait pour qu’il ne se rende pas compte de son état. Je l’ai énormément protégé et j’ai mis ma vie de côté, je me suis effacée volontairement. Je ne vivais plus que pour lui. Pour moi, je n’avais pas le choix. J’étais très touchée par ce qui lui était arrivé et l’aider, c’était ma raison de vivre.
On est une famille unie et je ne voulais pas partager mes souffrances avec mes enfants pour protéger l’image qu’ils avaient de leur père. J’ai toujours tout fait pour que la situation soit la plus normale possible. Quand on recevait ou qu’on sortait, je le préparais, je le faisais beau. Je ne me plaignais jamais. Je ne partageais pas mes souffrances. Je voulais protéger mon mari et mes enfants. Avec mes amis, c’est différent, je disais plus de choses. Mes amis admiraient mon courage.
Vous sentiez-vous seule ?
Je me sentais seule par rapport au monde médical et des aidants professionnels. J’ai eu des aides à domicile, pas facile à trouver. Il manque du personnel formé.
Il y a eu une aide à domicile indépendante qui m’a dit un jour : « avec ces maladies là, ou on place ou on se débrouille ». Il y a eu aussi des aides soignantes qui venaient à des moments qui n’étaient pas adaptés (toilette à midi et demi : liste d’attente du SSIAD) et des infirmières libérables qui ont eu des comportements inqualifiables. Je ne veux même pas en parler.
On se sent seule aussi vis à vis des professionnels qui ne connaissent pas cette maladie. Les maladies qui touchent le cerveau sont étiquetées « Alzheimer » et on entend jamais parlé de la maladie à corps de Lewy, pourtant 2e cause de démence.
Et puis, je me sentais seule car même si mon mari était présent physiquement, il n’y avait plus beaucoup d’échanges. C’était surtout des échanges autour des gestes de la vie quotidienne.
On se sent seule aussi car c’est difficile d’expliquer ce que l’on vit. C’est parfois indicible et les autres ne comprennent pas car tant qu’on ne vit pas ça, c’est difficile de comprendre. Les gens ne comprennent pas qu’on reste avec ce « fardeau ».
Au fil du temps, j’ai arrêté de me battre. J’ai subi la maladie toute seule et j’ai assumé seule. Je me suis réfugiée dans la généalogie, je jouais au majong, je cultivais mon jardin. Je suis bien dans mon jardin.
Et puis un jour, lors d’une rencontre à Bailleul j’ai connu le baluchonnage. J’ai fait des recherches pour savoir ce qui existait et j’ai eu la chance de trouver l’association « Interm’aide » à Bergues. Ils venaient à domicile 2 jours par mois. Ils se relayaient jour et nuit et ça m’a permis d’aller me ressourcer en Angleterre. Quand je partais en Angleterre, ça ne dérangeait pas mon mari. Mais quand une fois je suis allée chez mon fils, ça l’a rendu triste m’ont dit les professionnels du baluchonnage. Le baluchonnage a duré un an et demi.
Quel était votre quotidien avec votre mari ?
Tout était très difficile. Je le suivais très attentivement. J’étais tout le temps à son écoute. J’étais en permanence derrière lui. Je faisais tout pour lui. J’aillais faire mes courses à toute vitesse au supermarché quand il y avait un professionnel et j’allais à la pharmacie. Sinon je ne sortais plus du tout. C’était plus possible. J’avais réorganisé ma vie autour de lui. Et puis quand j’ai commencé la généalogie, ca m’a beaucoup plu. Je suis plutôt quelqu’un de positif. Quand mon mari a commencé à être malade, j’avais 52 ans. Alors, j’ai changé ma vie, je l’ai réorganisée autrement. Je faisais les choses chez moi. Je lisais beaucoup. Mon mari avait beaucoup d’admiration pour moi. Je ne voulais pas lui montrer que j’étais triste. Je pleurais dans mon lit. Je ne voulais pas le culpabiliser. Les deux dernières années de sa vie, les nuits ont été un enfer. J’étais épuisée et je me suis parfois fâchée devant les bêtises qu’il avait faites la nuit. Depuis son décès, je me suis excusée. Je ne suis qu’un être humain !
A votre avis, pourquoi la société ne s’intéresse pas plus à cette maladie ?
Quand le diagnostic a été posé, j’ai essayé de me renseigner sur cette maladie mais je me suis rendue compte qu’elle est encore méconnue. Pourtant il suffirait d’en parler plus souvent. On ne parle QUE de la maladie d’Alzheimer alors que la maladie à corps de Lewy n’est pas si rare que ça. C’est quand même la deuxième cause de « démence » après Alzheimer. On parle toujours de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées !
La seule association en Europe « Lewy body society » se trouve à Edimbourg. Ils sont très actifs. Sinon il n’y a rien d’autre en Europe à part cette association. Leur devise est : « le plus de gens sauront, le moins de gens souffriront ». Je regardais beaucoup leur site mais je ne pouvais bénéficier de rien n’étant pas anglaise.
Et aujourd’hui ?
J’ai donné beaucoup d’amour. Je ne culpabilise pas mais j’ai des manques. Cette maladie est cruelle et très destructrice. Elle est incurable. Il faut le savoir, l’assimiler et s’adapter. C’est mon vécu. On ne peut pas se battre contre elle c’est impossible.
Il faut essayer de se protéger au mieux. Le maintien à domicile comme je le dis toujours c’est le parcours du combattant et l’immense solitude. La première chose pour laquelle il faut se battre pour aider les autres, c’est qu’on en PARLE, c’est primordial. Aujourd’hui, je me bats pour faire mieux connaître cette maladie pour que le diagnostic soit plus rapide et meilleur. Et cela ne sera possible que par une connaissance et une reconnaissance du corps médical.
Après cela il nous reste l’amour que l’on donne à notre malade. La situation est très différente selon que ce soit son conjoint ou un parent car quand c’est son conjoint, votre vie bascule et éclate en morceaux. Sa fin a été horrible. J’ai trouvé le médecin « lâche ». Mon mari à la fin n’en pouvait plus. Les derniers mots qu’il a dit c’est : la mort, la mort, la mort en la pointant du doigt. Je ne comprends pas pourquoi ils l’ont laissé agoniser. Même les infirmières n’en pouvaient plus de le voir comme ça.
Aujourd’hui, il est toujours avec moi. C’est pour lui que je me bats. Je m’investis pour aider les autres pour que toute cette souffrance que j’ai vécu puisse être un peu évitée aux autres. Je ne ressens pas de fierté pour ce que j’ai fait. C’est juste de l’amour. Je suis en contact avec des aidants qui vivent la même situation.
Quel conseil vous donneriez aux aidants qui vivent la même situation ?
Je dirais tout d’abord que l’essentiel, c’est de donner beaucoup d’amour pendant qu’il est temps. C’est la meilleure thérapie ! Et puis aussi d’essayer le mieux possible de s’adapter aux moments présents et à l’évolution de la maladie. Ne jamais penser qu’il y aura une guérison. L’issue est fatale.
Il faut savoir aussi que cette maladie ne fait pas mourir et qu’elle peut durer très très longtemps. Ce sont les aidants qui souvent partent avant la personne malade. Il ne faut pas se battre contre la maladie, ce n’est pas possible et à partir du moment où on l’accepte, c’est plus facile.